Sols Vivants : Le Secret d’une Agriculture Florissante et Résiliente

11 juin 2025

Pourquoi s’intéresser à l’activité biologique des sols ?

L’attention portée à la biologie du sol n’a jamais été aussi cruciale dans notre contexte actuel. Face à la baisse de fertilité enregistrée partout dans le monde et aux exigences accrues sur la réduction des intrants, la question de la « vie du sol » revient sur le devant de la scène agricole : une terre vivante est-elle vraiment le socle d’une agriculture durable, plus résiliente et plus productive ? De nombreuses études démontrent que la santé du sol dépend en grande partie de la richesse de sa faune et de sa flore invisibles. Pourtant, ce sujet reste encore trop souvent méconnu en dehors des cercles spécialisés.

Pourtant, l’activité biologique du sol brasse, recycle, nourrit, protège, soutient… et permet enfin une expression plus saine des cultures. Mais comment cela fonctionne-t-il vraiment ? Quelles preuves et quels impacts concrets peut-on observer ? Quelles pratiques encouragent la vitalité du sol, et pourquoi cela s’avère essentiel dans le contexte du changement climatique ? Démêlons ensemble ce qui lie la santé du sol à celle de nos cultures.

Qu’entend-on par « activité biologique du sol » ?

On parle d'activité biologique des sols pour désigner toute la vie qui foisonne sous nos pieds : bactéries, champignons, protozoaires, algues, nématodes, collemboles, vers de terre, insectes… Ce micro- et macrocosme travaille sans relâche à transformer la matière organique, décomposer les déchets végétaux, fixer l’azote, stabiliser la structure des sols, et rendre accessibles les nutriments essentiels aux végétaux.

Quelques chiffres éclairants :

  • Dans une poignée de terre, on compte jusqu’à un milliard de bactéries (Inra).
  • À l’échelle d’un hectare, on estime en moyenne la biomasse de vers de terre entre 500 et 1 500 kg, équivalent à celle de la faune sauvage en surface (AFES, 2022).
  • Un sol sain abrite plus de 50 000 espèces différentes de micro-organismes (FAO).

La diversité de ces acteurs détermine le niveau d’activité biologique et, in fine, la fertilité du sol.

Rôles clés de l’activité biologique pour la santé des cultures

  • Libération des nutriments : Les bactéries et champignons dégradent la matière organique en nutriments assimilables par les plantes. Ainsi, une forte activité microbienne permet de rendre aux cultures l’azote, le phosphore ou le potassium naturellement présents dans la matière morte.
  • Structuration du sol : Les déjections et galeries des vers de terre favorisent une meilleure porosité, une infiltration de l’eau efficace et limitent l’érosion. Selon l’INRAE, un sol riche en vers de terre peut doubler sa capacité d’infiltration d’eau par rapport à un sol appauvri.
  • Protection naturelle contre les ravageurs et maladies : Certains micro-organismes (comme les Trichoderma ou Pseudomonas) antagonistes empêchent la prolifération de maladies racinaires ou de pathogènes tels que le Fusarium ou le Rhizoctonia (source : Institut Agro Dijon).
  • Stimulation des défenses des plantes : Certains microbes, en colonisant la rhizosphère (zone autour des racines), activent des mécanismes de défense propres aux plantes, les rendant plus résistantes.

Tous ces mécanismes facilitent donc la croissance, la vigueur, la résistance et la productivité des cultures — bien souvent sans intervention extérieure, ou avec beaucoup moins d’intrants chimiques.

Constats préoccupants et conséquences d’un sol appauvri

Dans de nombreuses régions du globe, l’activité biologique des sols est en chute libre, conséquence directe :

  • du travail du sol intensif (labour profond, compactage),
  • de la baisse des apports organiques et de la simplification des rotations,
  • de l’usage massif de pesticides et de fertilisants minéraux,
  • de la pollution agricole ou industrielle,
  • de la salinisation et érosion.
Le programme européen L'état de santé des sols en Europe 2023 signale qu’en France, près de 60% des sols agricoles présentent une diversité microbienne réduite. En Allemagne et en Italie, c’est même jusqu’à 75% dans certains bassins de production intensive ! La perte de vie dans les sols conduit à :
  • Des pertes de rendements pouvant atteindre 20 à 50% dans les systèmes céréaliers intensifs (source : GIEC, rapport 2022).
  • Une remontée des maladies des plantes, avec des phénomènes de nématodes ou de champignons pathogènes plus fréquents.
  • Une baisse de la résilience face aux sécheresses ou pluies extrêmes (moins de rétention d’eau, sols plus « battants » donc racines asphyxiées).

Preuves concrètes du lien entre biodiversité du sol et cultures en bonne santé

De nombreux essais agronomiques sur la planète démontrent des corrélations fortes :

  • En Grande-Bretagne, la ferme expérimentale de Rothamsted (Rothamsted Research) compare depuis plus de 150 ans des parcelles sous différents systèmes. Les parcelles enrichies en matières organiques naturelles voient leur productivité augmenter de 15 à 25% en 40 ans, tout en diminuant la prévalence des maladies cryptogamiques.
  • États-Unis : Un suivi de l’USDA sur du maïs montre que dans des sols gérés avec des couverts végétaux et du non-labour, la densité microbienne est doublée et la charge en mycorhizes (champignons bénéfiques) est trois à six fois supérieure (source : USDA Agricultural Research Service).
  • France : Les essais du réseau Sols Vivants (INRAE, Chambres d’Agriculture) estiment qu’en polyculture-élevage, le taux de réussite des cultures passe de 75 à 95% sur 5 ans lorsque la biomasse microbienne est renforcée et que la diversité fongique augmente.

À l’inverse, dans les terres à faible activité biologique, il est courant d’observer un recours accru aux fongicides et insecticides, des cultures affaiblies, une érosion accélérée… et l’installation parfois irréversible d’une spirale de perte de fertilité.

Bonnes pratiques et leviers pour stimuler l’activité du sol

Relancer la biologie des sols n’exige pas forcément de « tout changer » : il s’agit souvent d’un retour au « bon sens » paysan, éclairé par la science actuelle. Les leviers reconnus :

  1. Apport régulier de matière organique :
    • Compost, fumier, digestat, engrais verts… sont la « nourriture » du sol.
    • Au minimum 4-5 tonnes par hectare et par an pour maintenir la fertilité sur une culture classique (source : INRAE).
  2. Diversification des cultures et rotations longues :
    • Mélanger céréales, légumineuses, crucifères, plantes mellifères...
    • Augmente la diversité des organismes vivant dans la rhizosphère.
  3. Couverts végétaux et non-labour :
    • Le non-travail du sol, associé à des couverts permanents, conserve la faune du sol. Selon la FAO, le non-labour permet d’augmenter l’activité fongique de 30 à 50% en 3 ans.
  4. Limitation des intrants chimiques :
    • Privilégier des traitements biologiques, favoriser des solutions de biocontrôle.
    • L’usage intensif d’engrais minéraux ou de produits phytosanitaires peut faire chuter l’activité microbienne de moitié en dix ans (source : European Soil Data Centre, 2019).

À signaler également l’intérêt naissant des inoculants microbiens (ajouts de souches bactériennes/fongiques sélectionnées), en particulier pour amorcer la vie des sols très dégradés – une filière innovante, mais à manier avec discernement.

Résilience climatique, innovations et perspectives

L’enjeu de sols vivants ne concerne pas seulement le rendement : il est aussi celui de la résilience face aux stress croissants. Un sol bien pourvu en matière organique et en vie microbienne agit comme une éponge, stockant l’eau plus longtemps et relâchant progressivement les éléments pendant la sécheresse. Selon l’INRAE, un sol gagnant seulement 0,5% de matière organique supplémentaire peut stocker jusqu’à 80 000 litres d’eau par hectare de plus. C’est colossal dans des contextes de sécheresses à répétition.

Par ailleurs, la recherche s’accélère autour de :

  • L’analyse génomique des sols : plusieurs programmes européens (MicrobiomeSupport) développent de nouveaux tests ADN pour identifier rapidement la biodiversité souterraine, permettant ainsi d’ajuster finement les pratiques.
  • L’agriculture régénérative : elle vise à inverser la perte de matière organique en associant couvertures végétales, pâturages tournants, composts… La "4 pour 1000" (initiative française portée à la COP21) plaide pour une augmentation annuelle de 0,4% du stock de carbone dans les sols pour enrayer le changement climatique.
  • Le recours à des microbiomes personnalisés : aujourd’hui, des entreprises commercialisent des cocktails microbiens adaptés à chaque terroir ou culture, pour réensemencer des champs appauvris avec des résultats prometteurs sur la santé et le rendement.

Vers une redécouverte de la fertilité vivante

On redécouvre aujourd’hui ce qu’avaient compris anciens et agronomes éclairés : la fertilité, loin de se résumer à un simple chiffre de rendement, est un écosystème subtil, bâti sur la coopération entre plantes, bactéries, animaux du sol… et l’humain ! Les bénéfices d’une activité biologique soutenue des sols sont tangibles : vitalité et productivité accrues pour les cultures, réduction des maladies, moindre dépendance aux intrants, meilleure résilience, mais aussi un réel impact pour le climat.

C’est donc un défi collectif : soigner, nourrir et revaloriser les sols partout, sur les grandes exploitations comme dans les petites parcelles, pour reconstruire une agriculture vraiment moderne, innovante et respectueuse de son socle biologique. Repenser nos pratiques et investir dans des sols vivants, voilà peut-être le secret le mieux partagé pour envisager sereinement l’avenir de la production agricole.

Sources :

  • INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement)
  • AFES (Association Française pour l’Étude du Sol)
  • FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture)
  • Rothamsted Research
  • USDA Agricultural Research Service
  • European Commission - European Soil Data Centre
  • Programme "4 pour 1000"

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