Réinventer les cultures : les clés de l’agriculture de conservation des sols

26 juin 2025

Comprendre les principes de l’agriculture de conservation des sols

L’agriculture de conservation repose sur trois piliers indissociables :

  • La réduction ou suppression du travail du sol (semis direct)
  • La couverture permanente des sols (paillage, couverts végétaux, résidus de culture)
  • La diversification des cultures en rotation
Ces fondements permettent de limiter l’érosion, d’améliorer la structure du sol, de préserver la biodiversité microbienne et d’augmenter la fertilité naturelle, tout en contribuant à retenir davantage d’eau.

Mettre en œuvre le semis direct : la première étape

Le semis direct consiste à semer sans labour ni retournement préalable. Cette technique, progressivement adoptée depuis les années 1970, réduit considérablement la perturbation des horizons du sol.

  • Le matériel spécifique (semoirs directs) permet d’ouvrir un sillon très fin et d’y déposer la graine, tout en conservant la couche protectrice du sol.
  • Des études menées en France suggèrent qu’on peut réduire de 70 à 90 % le temps de travail mécanique et les émissions de CO₂ liées au travail du sol (Arvalis-Institut du végétal, 2020).
  • Le semis direct protège structure, biodiversité et activité biologique ; les vers de terre, véritables “ingénieurs du sol”, voient leurs populations augmenter parfois de 35 à 50 % après quelques années (INRAE).

Rotation des cultures : un levier puissant pour la fertilité naturelle

Pratiquer la rotation des cultures permet d’alterner céréales, légumineuses, oléagineux et prairies sur une même parcelle. Ce choix, solidement étayé par la recherche, confère d’innombrables avantages :

  • Réduction des maladies et ravageurs : En rompant les cycles de développement des pathogènes, le recours aux produits phytosanitaires est souvent diminué de plus de 20 %.
  • Fertilité accrue : Les légumineuses, par exemple, fixent l’azote atmosphérique. Une rotation maïs-trèfle-blé augmente le taux de matière organique et diminue les besoins en engrais de synthèse (source : ITAB).
  • Biodiversité : Les réseaux trophiques sont renforcés et les populations d’insectes auxiliaires croissent (CNRS, 2021).

Des initiatives telles que les rotations longues introduisant des engrais verts ou des prairies temporaires ont montré une nette réduction de l’érosion, jusqu’à 50 % selon certaines expérimentations en Champagne crayeuse (AgroParisTech, 2019).

L’agroforesterie : réconcilier arbres et cultures pour protéger les sols

L’agroforesterie, qui intègre arbres, cultures et/ou élevage sur une même parcelle, connaît un nouvel essor. L’arbre, autrefois victime des remembrements, revient au cœur des fermes :

  • Effet brise-vent : Réduction de 20 à 30 % de l’érosion éolienne observable sur les cultures protégées par des lignes d’arbres (Agroforesterie.fr).
  • Amélioration de la structure : Les racines profondes des arbres favorisent l’aération du sol et le recyclage de nutriments.
  • Limiter le ruissellement : En ralentissant les eaux de pluie, les haies et bosquets réduisent la perte de sol lors des fortes précipitations.
  • Bénéfices pour la biodiversité : Les arbres abritent oiseaux, insectes pollinisateurs et microfaune du sol, créant un écosystème résilient.

Une méta-analyse (Université de Montpellier, 2022) a mis en évidence des rendements agricoles équivalents, voire supérieurs, sur les parcelles agroforestières sur le long terme, grâce à l’amélioration de la fertilité et la protection du sol.

Paillage : protéger, nourrir et améliorer la texture du sol

Le paillage consiste à recouvrir le sol de matières organiques (paille, broyat, compost, résidus de culture) ou de matériaux naturels, visant à :

  • Limiter l’évaporation : Jusqu’à 30 % d’eau en plus conservée dans le sol en période sèche (source : Chambres d’Agriculture France).
  • Favoriser la vie microbienne : Le paillage est rapidement colonisé par champignons, bactéries et vers de terre.
  • Améliorer la structure : Les apports décomposés augmentent le taux d’humus, essentiel à la stabilité et à l’aération.
  • Limitation du tassement : En empêchant le sol de s’assécher puis de se compacter sous l’effet des pluies intenses.

Au potager comme en grandes cultures, le paillage s’avère être une solution performante pour booster le rendement et préserver le capital sol sur le long terme.

Agriculture sans labour : un changement profond, des bénéfices multiples

Abandonner la charrue et le labour, voilà sans doute la transformation la plus radicale de ces dernières décennies. L’absence de labour s’accompagne d’impacts majeurs :

  • Préservation de la structure : Les couches superficielles restent intactes, permettant la circulation de l’eau et des racines.
  • Limitation de l’érosion : Selon la FAO, la perte de sol est réduite de 1 à 6 tonnes/ha/an dans les systèmes sans labour, contre 10 à 20 t/ha/an en conventionnel dans les régions sensibles (FAO, 2021).
  • Stockage de carbone : Le non-labour favorise l’accumulation de carbone organique, piège jusqu’à 0,4 t C/ha/an supplémentaire (JRC, Commission européenne, 2019).
  • Baisse du coût énergétique : Moins de passages mécaniques, moins de carburant, réduction de l’usure des outils.

Ce choix nécessite parfois de repenser l’ensemble du système de culture, mais les retours d’expérience en France (Bassin parisien, Sud-Ouest) montrent une autonomie et une résilience accrues face à la sécheresse et aux extrêmes climatiques.

Le rôle clé des couverts végétaux dans la préservation des terres

Installer des couverts végétaux (mélanges de plantes semées entre deux cultures principales) est aujourd’hui reconnu comme une innovation efficace :

  • Lutte contre l’érosion : Un sol nu perd près de 20 tonnes/ha/an de terre par ravinement, contre moins de 1 t/ha/an sous couvert permanent (Source : INRAE).
  • Amélioration de la porosité : Les racines des couverts brisent les croûtes de battance et drainer l’eau en profondeur.
  • Apports en éléments nutritifs : Les légumineuses enrichissent le sol en azote, les crucifères piègent l’azote résiduel.
  • Biodiversité : Les parcelles accueillant couverts végétaux présentent un nombre d’espèces utiles jusqu’à trois fois supérieur (Solagro, 2021).

Certaines études (Terres Inovia, 2020) montrent également une diminution de 15 à 30 % des populations d’adventices difficiles après 3-4 ans d’intégration régulière de couverts végétaux.

Réduire l’érosion : techniques pratiques et effets mesurables

L’érosion des sols agricoles cause la perte de 24 milliards de tonnes de sol fertile chaque année dans le monde (source : PNUE, 2022). Plusieurs pratiques issues de la conservation s’avèrent efficaces pour y remédier :

  • Bandes enherbées ou haies : Filtrent les sédiments et réduisent le débit d’eau de ruissellement.
  • Semis perpendiculaires à la pente : Freinent la descente de l’eau sur les parcelles inclinées.
  • Gestion intelligente de l’irrigation : Pour éviter les lessivages lors d’apports trop abondants.
  • Couverts végétaux : Maintiennent la surface du sol protégée toute l’année.

En combinant ces différentes mesures, il est possible de restaurer la fertilité et la stabilité de parcelles en risque, évitant l’appauvrissement irrémédiable et la perte de productivité.

Mieux retenir l’eau dans les sols : des techniques adaptées à chaque terroir

La sécheresse récurrente en Europe souligne l’importance de la rétention d’eau dans les sols : un enjeu pour la sécurité alimentaire de demain.

  1. Augmenter la teneur en matière organique : 1 % de MO additionnelle représente 250 000 litres d’eau stockés en plus par hectare (Solagro).
  2. Structurer le sol avec couverts végétaux et absence de labour : Plus de pores visibles, moins de battance et de ruissellement.
  3. Paillage et résidus de culture : Limite l’évaporation lors des canicules.
  4. Implanter des arbres et bandes boisées : Les racines ralentissent la fuite d’eau et favorisent la percolation en profondeur.

Des essais conduits en Occitanie sur blé dur ont mis en lumière une augmentation de 15 à 40 % de rendement en années sèches sur des parcelles bénéficiant de ces pratiques (ARVALIS, 2022).

Perspective : unir biodiversité, productivité et résilience au cœur de l’agriculture de demain

L’agriculture de conservation des sols incarne un changement de paradigme, mais sa mise en œuvre ne relève pas d’une recette universelle. Chaque terroir, chaque exploitation, chaque climat impose des adaptations et une observation attentive des équilibres du vivant. Les bénéfices démontrés de ces pratiques—rétention de l’eau, lutte contre l’érosion, restauration de la fertilité naturelle ou réduction des coûts d’intrants—sont autant d’arguments en faveur d’une transition ambitieuse.

Engager la modernisation agricole à travers la conservation des sols, c’est aussi contribuer à la sécurité alimentaire, à la résilience face au climat, et à la revitalisation de notre patrimoine rural pour les générations à venir. Les marges de progrès sont considérables, la recherche continue d’apporter des innovations, et les retours de terrain confirment que chaque pas vers la régénération du sol compte pour la planète et les humains qui la cultivent.

Sources : ONU Environnement / FAO / INRAE / Arvalis / AgroParisTech / Université de Montpellier / CNRS / ITAB / Terres Inovia / Solagro / JRC-Commission européenne / Agroforesterie.fr / Chambres d’Agriculture France / PNUE.

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