Agriculture de conservation : une révolution silencieuse pour la fertilité des sols et la planète

7 juin 2025

Changer de regard sur l’agriculture : les promesses de la conservation

Face à l’érosion des sols, à la diminution de la biodiversité ou encore au dérèglement climatique, un nouveau visage de l’agriculture s’impose peu à peu dans nos campagnes et dans les débats. L’agriculture de conservation, loin d’être une simple alternative à l’agriculture conventionnelle, se démarque comme une véritable philosophie de production, centrée sur la préservation des sols, le respect des cycles naturels et la lutte contre le changement climatique.

Implantée en France depuis le début des années 2000, l’agriculture de conservation des sols (ACS) concerne aujourd’hui environ 5 % de la surface agricole française selon l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), mais la dynamique est en forte progression, portée par les enjeux environnementaux et la recherche de systèmes plus résilients (source : INRAE).

Définition : l’essence de l’agriculture de conservation

L’agriculture de conservation s’appuie sur trois grands principes fondamentaux, qui agissent de concert pour régénérer les sols et renforcer les agroécosystèmes :

  • La couverture permanente du sol : il s’agit de garder la terre toujours « habillée », grâce à des couverts végétaux, résidus de cultures ou prairies temporaires, afin de limiter l’érosion et de nourrir la vie du sol.
  • La diversification des cultures (rotation et associations) : en pratiquant des rotations longues et variées (céréales, légumineuses, oléagineux, etc.), et parfois des associations d’espèces, on favorise la biodiversité souterraine et aérienne, tout en limitant les maladies et les ravageurs.
  • La réduction, voire la suppression du travail du sol : limitant le labour, cette approche privilégie le semis direct ou le travail superficiel pour préserver la structure du sol et sa faune (vers de terre, micro-organismes).

Ces fondements, définis par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), s’opposent aux pratiques de labour intensif, qui causent souvent une dégradation importante de la structure et de la fertilité des sols (FAO).

Lutte contre l’érosion : la peau du sol retrouvée

L’érosion des sols est l’un des fléaux les plus insidieux qui menacent l’agriculture : selon le CNRS, la France perd chaque année de 5 à 10 tonnes de terre arable par hectare à cause des eaux de ruissellement (CNRS). L’agriculture de conservation, en limitant les sols nus et en maintenant en permanence une couverture végétale, réduit ce phénomène de manière spectaculaire.

  • Des essais menés en Bourgogne ont montré que la couverture du sol avec un couvert végétal réduit jusqu’à 80 % le risque de pertes en terres (Terre-net).
  • Dans le bassin Seine-Normandie, les exploitations passées en ACS ont vu la fréquence des coulées de boue baisser de 60 % en quelques années.

L’objectif n’est pas seulement de freiner l’érosion mais de restaurer la capacité du sol à absorber l’eau, limitant les inondations et augmentant les réserves en période sèche.

Carbone et climat : puits de carbone et allié du climat

Un sol vivant, non labouré, couvert de végétation, capte et retient du carbone atmosphérique sous forme de matière organique. Ce stockage est un levier majeur pour lutter contre le réchauffement climatique. Selon l’ADEME, l’adoption généralisée de l’ACS en France pourrait permettre de stocker 1 à 2 tonnes de CO supplémentaires par hectare chaque année (ADEME).

  • À l’échelle mondiale, la FAO estime que l’agriculture de conservation, si largement déployée, pourrait compenser environ 15 % des émissions annuelles du secteur agricole (FAO).
  • En France, le projet « 4 pour 1000 » vise à augmenter la teneur en carbone des sols de 0,4 % par an pour contribuer significativement à l’atténuation du changement climatique (source : Ministère de l’Agriculture).

Ce rôle de puits de carbone est d’autant plus stratégique que plus de 60 % du carbone des sols cultivés a été perdu depuis l’invention du labour intensif, selon une étude publiée dans Nature Communications (Sanderman et al., 2017).

Vie du sol : une biodiversité insoupçonnée

Chaque mètre carré de sol accueille une multitude d’êtres vivants : jusqu’à une tonne d’organismes vivants (vers de terre, insectes, bactéries, champignons) dans la couche arable d’un hectare en bonne santé. Le non-labour, associé aux couverts végétaux, crée un environnement propice à la prolifération de cette faune, essentielle pour la fertilité et la résilience du sol (INRAE).

  • Les pratiques d’ACS favorisent jusqu’à 2 à 3 fois plus de vers de terre que l’agriculture conventionnelle labourée.
  • L’activité biologique accrue permet une meilleure structuration du sol, limitant la compaction et facilitant l’infiltration de l’eau.

Un sol vivant, c’est aussi une meilleure nutrition des plantes, réduisant le recours aux engrais de synthèse, un atout majeur pour la qualité de l’eau et la réduction des intrants.

Moins d’intrants, plus de résilience : la santé des cultures avant tout

L’un des bénéfices tangibles de l’agriculture de conservation est la diminution de l’usage d’engrais et de produits phytosanitaires. En diversifiant les rotations et en entretenant la vie du sol, les agriculteurs voient les maladies et ravageurs régulés naturellement. Plusieurs études montrent :

  • Jusqu’à 30 à 50 % de réduction de l’utilisation d’herbicides et d’insecticides dans les premières années de transition (Ministère de l’Agriculture).
  • Une baisse des besoins en fertilisation azotée grâce à l’intégration de légumineuses dans les rotations, dont les bactéries fixatrices d’azote enrichissent naturellement le sol.

Cette baisse des intrants a un impact direct sur la qualité de l’eau : dans les bassins versants convertis à l’ACS, des analyses ont mesuré une réduction de 50 à 70 % des concentrations en nitrates et pesticides dans les eaux de surface (Centre Pilote ACS).

Diversification et rentabilité : un pari sur l’avenir

Au-delà de la protection de l’environnement, l’agriculture de conservation répond à des préoccupations économiques. Même si la transition peut parfois s’accompagner d’une courbe d’apprentissage ou de rendements fluctuant les premières années, les bénéfices à moyen terme sont notables.

  • Économie d’énergie : la suppression du labour permet de réduire de 30 % à 40 % la consommation de carburant selon l’INRAE.
  • Stabilité des rendements : en période de sécheresse, les couverts améliorent la résilience des cultures, limitant les baisses de rendement. Aux États-Unis, dans les Grandes Plaines, les agriculteurs en ACS ont perdu 20 % de rendement en cas de sécheresse contre 50 % en conventionnel (source : USDA/NRCS, 2019).
  • Diversification des sources de revenu : certaines exploitations intègrent l’élevage, la vente de couverts ou les paiements pour services environnementaux (stockage du carbone, réduction de la pollution).

Les défis et les leviers à actionner

L’agriculture de conservation n’est pas une solution miraculeuse ni unique. Sa réussite dépend du contexte climatique, des types de sols, et nécessite souvent une adaptation fine selon les territoires. Parmi les principaux défis cités par les agriculteurs :

  • La gestion des adventices (mauvaises herbes) en l’absence de labour ;
  • L’accès au matériel spécifique (semoirs directs, rouleaux crêpes) ;
  • Le besoin de formation et d’accompagnement, notamment via les réseaux de groupes d’agriculteurs innovants ;
  • L’attente de résultats parfois longue, même si les bénéfices écologiques des premiers couverts sont visibles dès la première année sur la biodiversité.

Pour faciliter le déploiement de l’ACS, des politiques d’incitation voient le jour en Europe et en France, via la PAC (Politique Agricole Commune) ou les programmes de “paiement pour services environnementaux”.

Perspectives : l’agriculture en dialogue avec la nature

L’agriculture de conservation marque ainsi une étape majeure dans la réinvention des pratiques. Elle n’oppose plus production et protection de la nature mais cherche leur harmonisation, en s’appuyant sur des mécanismes naturels – parfois encore mal connus – qui assurent la fertilité à long terme.

La montée en puissance de ces méthodes réveille aussi l’innovation, qu’il s’agisse de semences adaptées, de robots ou d’indicateurs de santé du sol connectés. Enfin, la dimension collective – échanges, coopérations, partages de retour d’expériences – est l’un des moteurs clés du succès de l’ACS. Plus qu’une technique, c’est tout un changement de paradigme, un pacte renouvelé entre l’agriculteur et la terre nourricière.

Pour aller plus loin sur les impacts de l’agriculture de conservation ou découvrir des témoignages de terrain, n’hésitez pas à explorer les ressources publiques de l’APAD (Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable) ou encore la plateforme Agroécologie du Ministère de l’Agriculture.

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