Sécuriser les récoltes : Diversifier l’agroécosystème pour faire front aux aléas climatiques

20 juin 2025

Un défi grandissant pour l’agriculture : l’imprévisibilité climatique

Depuis quelques décennies, les agriculteurs font face à une incertitude grandissante liée au climat : vagues de chaleur prématurées, sécheresses prolongées, pluies diluviennes, épisodes de gel tardif… Le réchauffement climatique amplifie la fréquence et l’intensité de ces phénomènes. Selon la FAO, entre 2005 et 2015, plus de 80 % des pertes économiques dues aux catastrophes naturelles dans le monde rural sont directement attribuées aux risques climatiques (source : FAO).

Face à ces défis, la diversification de l’agroécosystème apparaît comme une stratégie essentielle pour renforcer la résilience des exploitations, maintenir voire améliorer les rendements, et ainsi sécuriser la production alimentaire. Mais que recouvre exactement cette diversification ? Comment la mettre en œuvre concrètement ? Quelles preuves scientifiques existent pour en mesurer les bénéfices ? C’est ce que nous allons explorer.

Pourquoi diversifier ? Les bases écologiques d’une stratégie gagnante

Un agroécosystème diversifié est l’inverse du champ monoculturel classique. Il s’appuie sur différents niveaux de variabilité :

  • La diversité des espèces : voler au secours du champ unique en ajoutant plusieurs cultures différentes.
  • La diversité génétique : au sein d’une même espèce, faire cohabiter des variétés aux caractéristiques variées.
  • La diversité fonctionnelle : introduire des plantes, animaux ou microbes remplissant des rôles complémentaires : fixation de l’azote, couverture du sol, contrôle des ravageurs...

Cette diversité accroît la stabilité de l’écosystème : si une culture pâtit d’un stress (sécheresse, maladie), les autres prennent le relai, amortissant les pertes. Ce principe, bien étudié dans les écosystèmes naturels, fonctionne aussi en agriculture. Par exemple, une étude européenne menée sur 11 ans montre qu’un assolement diversifié augmente la stabilité des rendements de 22 % par rapport à la monoculture (source : Nature Communications, 2019).

Autre atout : la diversité enrichit la vie des sols, stimule la faune auxiliaire (pollinisateurs, prédateurs naturels…), limite la propagation des maladies, optimise l’utilisation de l’eau et des nutriments. Diversifier, c’est transformer le risque en opportunité !

Les leviers concrets de la diversification agricole

1. Les cultures associées : synergies au champ

Développer des cultures associées (intercropping) consiste à cultiver en même temps, sur la même parcelle, plusieurs espèces végétales qui s’apportent mutuellement un bénéfice. Par exemple :

  • Associations céréales-légumineuses : le pois ou la féverole fixent l’azote pour le blé, réduisent l’apport d’engrais, couvrent le sol et limitent les adventices. À l’institut ARVALIS, l’association blé-pois a permis de réduire les intrants de 20 % et d’augmenter la stabilité du rendement même en année sèche.
  • Maïs-soja : le soja enrichit le sol, le maïs lui offre de l’ombre, ce qui permet d’éviter les coups de chaud et d’étaler la période de récolte.
  • Combinaisons prairie-céréales ou prairie-vigne : apporter de la biodiversité, des fertilisants naturels, et améliorer la structure du sol.

Plus qu’une assurance climatique, c’est souvent un gain économique : selon le CIHEAM, l’association de cultures permet de valoriser 10 à 20 % de rendement supplémentaire sur la même surface, sans chiffre d’affaire volatil aussi marqué qu’en monoculture (source : CIHEAM, 2018).

2. Allonger et diversifier la rotation des cultures

La rotation classique « blé-orge-colza » est trop courte ; allonger la rotation (introduire cinq, six cultures différentes sur une même parcelle) casse le cycle des maladies et parasites, limite les risques de pertes massives en cas d'aléa climatique ciblé (sécheresse qui grille le colza, été trop humide pour le blé…). En 2022, l’AgroParisTech estimait qu’avec une rotation étendue (5 espèces ou plus), les rendements moyens des cultures en zones sensibles au déficit hydrique étaient supérieurs de 15 % par rapport à une rotation ternaire classique (source : AgroParisTech).

  • Introduire des légumineuses fixatrices d’azote (pois, luzerne, trèfle) pour gagner en autonomie en azote, tout en couvrant le sol et en offrant de la ressource pour la biodiversité auxiliaire.
  • Amener des cultures de « couverture » : sorgho, moutarde, phacélie… qui protègent la structure du sol lors des intersaisons.

3. Diversification des espaces et infrastructures agroécologiques

La diversification s’opère aussi à l’échelle du paysage. Les haies, bandes enherbées, bosquets ou mares jouent un rôle majeur :

  • Haies et arbres intra-parcellaires : brisent le vent, limitent l’évapotranspiration, hébergent pollinisateurs et oiseaux insectivores. Un recensement INRAE/AgroParisTech 2020 montre que sur de grandes cultures, la réintroduction de haies fait économiser jusqu’à 30 % sur la protection phytosanitaire, tout en maintenant les rendements (INRAE).
  • Bandes enherbées et couverts fleuris : soutiennent les abeilles et syrphes, essentiels à la pollinisation des cultures florales souvent sensibles à la chaleur.
  • Mares et zones humides : tamponnent les inondations, stockent l’eau pour les périodes de sécheresse.

4. Diversification génétique : choisir et combiner intelligemment des variétés

Un point trop souvent ignoré : la diversité ne concerne pas uniquement les espèces mais aussi les variétés. Mélanger des variétés d’une même culture (ex : plusieurs types de blé ayant des dates de maturité ou des tolérances aux stress différentes) permet d’assurer une récolte partielle en cas de problème ponctuel.

Face au gel tardif de 2021, nombre de viticulteurs bio en Bourgogne ont mieux tiré leur épingle du jeu grâce à des parcelles plantées de cépages divers et des clones plus rustiques (source : Vitisphère).

Des résultats concrets : stabilité, productivité et qualité

La diversification ne joue pas seulement sur la prévention des pertes. Elle améliore la rentabilité et la qualité :

  • Stabilité des rendements : une étude sur 25 ans menée dans le Sud-Ouest a montré 35 % d’écart-type de rendement en moins pour les systèmes agricoles diversifiés (source : INRAE, 2019).
  • Maitrise naturelle des ravageurs : dans les parcelles où alternent cultures, haies et couverts, la pression du puceron ou de la pyrale du maïs baisse de 40 à 90 % selon les contextes, limitant la dépendance aux insecticides (source : CIPRA, 2023).
  • Meilleure gestion de l’eau : avec des rotations diversifiées, la réserve utile du sol est fonctionnalisée toute l’année. En 2018, lors de la sécheresse, les exploitations céréalières diversifiées en Bretagne ont perdu en moyenne 12 % de rendement, contre 25 % pour celles en monoculture (source : Ministère de l’Agriculture).

Du côté de la vigne, alternance de cépages et de portes-greffes différents a permis de compenser les pertes d’un cépage sensible au mildiou. À l’échelle nationale, la montée de la biodiversité agricole pourrait générer 2 à 3 milliards d'euros de gains sur la seule gestion du risque climatique (source : ADEME, 2023).

Ouverture : l’innovation inspirée du vivant, moteur de transition durable

La diversification de l’agroécosystème est plus qu’un outil : c’est un changement de regard. Il s’agit de s’inspirer de la nature, où la diversité permet à l’ensemble de résister aux crises. Ce principe commence à faire tache d’huile, que ce soit dans les fermes pionnières en agroforesterie, dans les systèmes polyculture-élevage ou même dans la viticulture où expérimentations, « cuvées biodiversité » et cépages oubliés retrouvent du sens pour répondre à l’incertitude climatique.

L’avenir de l’agriculture passera par la capacité à se réinventer, à valoriser l’intelligence collective du vivant. Les leviers sont nombreux, adaptables à chaque contexte, du petit maraîcher au grand céréaliers. Ce « filet de sécurité » écologique n’est pas un retour en arrière, mais une avancée vers une agriculture plus robuste, créative et solidaire. Comme le rappelle l’association Terre de Liens, « diversifier aujourd’hui, c’est pouvoir transmettre demain ».

Pour aller plus loin, il est possible de s’informer, se former et d’échanger sur les retours d’expériences locales : plateformes telles que Osaé (Osaé), réseaux d’agriculteurs innovants, conférences locales… Cette dynamique collective ancre le changement dans la durée et donne des outils pour sécuriser l’avenir des agricultures face aux défis du XXIe siècle.

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